Capharnaüm

“Dans Ouvrez!, l’une de ses dernières œuvres, Nathalie Sarraute écrivait: “Des mots, des êtres vivants parfaitement autonomes, sont les protagonistes de chacun de ces drames. Dès que viennent des mots du dehors, une paroi est dressée. Seuls les mots capables de recevoir convenablement les visiteurs restent de ce côté. Tous les autres s’en vont et sont pour plus de sûreté enfermés derrière la paroi. Mais la paroi est transparente et les exclus observent à travers elle. Par moments, ce qu’ils voient leur donne envie d’intervenir, ils n’y tiennent plus, ils appellent… Ouvrez!». Par ce travail d’écriture ultime où les mots eux-mêmes remplacent les personnages du roman et prennent vie, Nathalie Sarraute confère au langage, à l’écriture, et à chacun de ses composants, une vie propre. Ce sont eux, les mots, qui deviennent les héros du roman et les sujets de la composition littéraire. Le travail pictural de Vincent Abadie Hafez forme comme un écho au travail de Nathalie Sarraute et offre une vision de l’écrit, et des mots qui le composent, à la manière d’un grand portraitiste.

Cette mise en abyme nous fait comprendre indirectement la construction et les composantes d’une langue qui nous échappe mais dont les éléments s’animent tels les personnages d’un roman. Comme si la forme de l’écriture finissait par être non seulement l’unique matériau du travail pictural mais l’unique réalité tangible. Libérés du piège du sens, les caractères et les mots s’envolent pour un trajet de liberté qui nous rappelle le piège des mots qui enferment, qui cadrent, qui contrôlent. L’espace peint devient territoire de liberté, de mouvement, de vie. Vincent Abadie Hafez a entendu l’injonction des mots de Nathalie Sarraute, Ouvrez!, et leur offre leur liberté qui, par corollaire, est aussi la nôtre.”

Francois Russo

© Images : Vincent Abadie Hafez